J’avais d’abord imaginé cette ascension en solo. Puis l’enthousiasme a fait son œuvre : j’en ai parlé à quelques amis internationaux rencontrés à Munich, et à Paul, lui aussi en échange en Allemagne, à Deggendorf. Le plan a changé d’échelle en un week-end : nous serions onze, à marcher de nuit vers le Schrecksee, du 21 au 22 juin. Timing parfait : températures douces, nuit courte, et l’espoir d’un lever de soleil qui embrase les crêtes.
Notre point de départ : un village serré au pied des montagnes. En arrivant, surprise : une fête locale bat son plein, musique, rires, stands. L’ambiance détend tout le monde, presque rassurante avant l’effort.
On dîne ensemble au resto du coin : schnitzels dorés pendant que le soleil disparaît derrière les arêtes. Les habitants croisés nous offrent sourires et « Bon courage ! Vous verrez, la vue là-haut est unique… ». Une seule personne tente de nous dissuader, sans grande conviction. Précision utile : le bivouac est interdit dans la région, et nous le savions. Notre objectif n’était pas de camper, mais de marcher de nuit pour admirer l’aube, ce qui, lui, ne pose aucun problème.
Un peu après 23 h, on quitte le village. Les premières minutes longent un ruisseau : presque aucun bruit, juste le clapotis. Le sentier s’élève vite dans la forêt, nos frontales découpent des faisceaux nets. Au-dessus, un ciel constellé comme on ne le voit jamais en ville.
La pente se durcit. Chacun cale son pas pour garder une allure régulière. On avance bien, trop bien, même : on prend de l’avance sur l’horaire. Pas grave, au contraire : on gagnera du temps là-haut pour attendre le soleil.
Quelques sections demandent de la vigilance : traversées étroites à flanc, cailloux fuyants, concentration obligatoire. Le chemin reste cependant agréable si l’on prend son temps. Les sources rencontrées en route sont de vraies bénédictions : gourdes remplies d’une eau glacée et limpide, énergie relancée.
L’effort qui s’allonge nous rappelle de penser à l’entretien : électrolytes, barres, petites bouchées pour éviter les crampes. Dans un virage, des silhouettes immobiles se découpent : sans doute des chamois qui nous observent depuis la pente. Leurs yeux accrochent la lumière des lampes, ajoutant à la magie du moment.
Après plusieurs heures, on passe une première crête et on bascule de l’autre côté. Le sentier s’adoucit, presque plat par endroits, en balcon au-dessus de vallées noyées dans l’ombre. Le répit est bref.
La dernière rampe vers le sommet qui domine le Schrecksee est la plus rude. Après près de cinq heures, la pente se redresse franchement, à la limite du petit pas d’escalade. Les cuisses brûlent, les mains s’invitent, chaque mètre se négocie. L’idée du lever de soleil nous tire pourtant vers le haut, mètre après mètre.
À 4 h 15, on touche le sommet. La nuit tient encore, mais l’horizon pâlit. Le groupe se tait, chacun reprend son souffle. S’asseoir, regarder autour, laisser le silence faire son travail : immense soulagement.
À 5 h 20, le moment attendu arrive. Une boule rouge glisse au-dessus des crêtes, les sommets se teintent de rose, la montagne se dévoile comme une mer sans fin. C’est simple et vertigineux à la fois. Ciel clair, vue à 360°, rien ne vient troubler la scène.
On entame la descente vers le lac. D’en haut, il paraissait minuscule. À mesure qu’on s’approche, l’échelle change : le plan d’eau s’ouvre, large, posé au milieu de prairies vertes et de fleurs alpines. Le Schrecksee reflète déjà le bleu neuf du matin.
Le décor a quelque chose d’irréel : un lac comme suspendu, loin de tout. On s’assoit face à l’eau, chacun pour soi, juste le temps d’imprimer l’image.
La redescente par l’itinéraire principal se révèle cassante. Par endroits, le sentier prend des allures de mur et malmène les genoux. Après plus de huit heures de marche cumulées, la fatigue pèse et l’envie de revoir le village grandit. Pas de regret pour autant.
Au point de départ, on est rincés, mais heureux. On vient de partager une expérience dense : une montée nocturne, une vraie cohésion de groupe, et un lever de soleil sur l’un des plus beaux sites alpins de Bavière.
Le Schrecksee, ce n’est pas seulement une rando : c’est un concentré de sensations et d’émotions. De la fête de village au pied des montagnes au silence au sommet, chaque étape a laissé une trace nette. Je le referais sans hésiter, encore et encore.
Reste que l’ascension ne s’improvise pas. Les sentiers sont exigeants, la nuit ajoute une couche de difficulté. Mieux vaut connaître ses limites, partir bien équipés, et en petit groupe. Pour ceux qui osent, la récompense est immense : une vraie rencontre avec la montagne et un spectacle que rien n’égalera sur un écran.